Paradoxes des ambitions vertes de Stavanger
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- 3 mars 2019
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 mars 2019
La "capitale pétrolière" norvégienne
Stavanger est située au sud de la côte ouest de la Norvège. Aujourd'hui, ses 130 000 habitants en font la troisième ville la plus peuplée du pays. Dans les années 1970, des ressources en or noir ont été découvertes au large des côtes norvégiennes et la ville s'est rapidement imposée comme la capitale pétrolière du pays.

Carte de Norvège
Bien que la ville ait traditionnellement reposé sur le secteur aquacole et la construction navale, l'industrie pétrolière est aujourd'hui le secteur économique le plus dynamique de la région. La majorité de la population locale (près de 50%) travaille d’ailleurs dans ce domaine. L'ère pétrolière a stimulé le développement de la ville à bien des égards. La population urbaine a augmenté de plus de 50 % entre 1960 et 1970. De nouveaux quartiers ont vu le jour, comme par exemple celui de Madla, où des logements ont été massivement construits pour accueillir des ingénieurs et investisseurs étrangers ainsi que leurs familles. La ville s'est également dotée d'une université en 2004, proposant des formations fortement connectées à l'industrie pétrolière.
Statoil (Equinor) - la compagnie pétrolière appartenant à l’Etat norvégien - assure l'extraction, la transformation et la commercialisation des ressources pétrolières du pays. Stavanger a été choisie pour accueillir son siège social dès sa création en 1972.

Ekofisk, le plus gros gisement pétrolier au large des côtes de Stavanger
Une ville responsable et menacée par le changement climatique
Propriétaires d’un immense parc pétrolier, les autorités de Stavanger sont critiquées par les militants écologistes et les syndicats de pêcheurs pour cautionner la destruction de la biodiversité marine et les émissions de carbone causées par l'économie pétrolière.

Parc pétrolier sur la côte ouest
Le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC) met en garde contre les effets irréversibles que causeraient un réchauffement planétaire supérieur à 4°C. L'élévation potentielle du niveau de la mer aurait des conséquences désastreuses pour la ville de Stavanger. Celle-ci participe alors à de nombreux projets pour devenir climatiquement « neutre » et « résiliente ». La municipalité souhaite faire de Stavanger une « ville intelligente » (voir Projet Triangulum & la notion de smart city). Cette expression empruntée au champ des études urbaines couvre de nombreux aspects. Dans le cadre de la résilience environnementale, elle implique l'introduction de technologies dans la vie quotidienne des citadins, à même d'atténuer le changement climatique, ou du moins de s'y adapter. La municipalité s'est déjà fixée des objectifs clairs : la ville doit réduire ses émissions de carbone de 20 % d'ici 2020. Des politiques publiques ont déjà été mises en œuvre pour atteindre cet objectif. Des taxes sur les véhicules individuels ont été introduites et des ceintures vertes sont construites sur le front de mer. De plus, la ville s'engage à réinvestir une grande partie des revenus pétroliers dans la recherche et le développement d’énergies renouvelables.
D'une « capitale pétrolière » à une « capitale énergétique »
Au cours des dernières années, les documents et discours officiels ont insisté pour que Stavanger soit reconnue comme « capitale énergétique » (au lieu de « capitale pétrolière »). Ce changement sémantique s'inscrit dans une politique plus vaste de greenwashing (« éco-blanchissement »). Une telle stratégie consiste à utiliser des instruments marketing pour présenter une politique comme respectueuse de l'environnement alors qu'elle ne l'est pas. L'objectif est souvent de déculpabiliser une entreprise ou une ville pour ces agissements en réalité polluants.
Malgré les objectifs verts fixés par la ville, une grande partie des habitants, les membres des autorités locales et les industries régionales n'envisagent pas d'abandonner l'industrie pétrolière dans un futur proche. Dans son programme de « ville intelligente », la ville souhaite développer « l'expertise de la région en matière de production énergétique, afin de favoriser le développement d'énergies vertes, tout en accomplissant l’extraction la plus respectueuse possible pour l'environnement des ressources énergétiques non-renouvelables ». Largement financées par la compagnie pétrolière municipale, les activités de recherche menées à l'Université de Stavanger (UiS) soutiennent ces ambitions. La municipalité (en collaboration avec l'industrie pétrolière) n'envisage donc absolument pas d'abandonner le pétrole.
Par ailleurs, en parallèle des mouvements écologistes, un contre-mouvement est apparu au sein de l'industrie pétrolière, niant purement et simplement les nuisances environnementales liées à l'extraction et à la consommation de pétrole. Les dirigeants de cette industrie considèrent que l'abandon du pétrole correspondrait à une augmentation de la production et de la consommation de charbon (i.e. l’énergie la plus émettrice de carbone). Économiste en chef chez Statoil, Eirik Wærness félicite même son pays de s’être tourné vers le pétrole : "Imaginez les émissions de CO2 que l'Europe aurait eues si 40 ans d'exportations norvégiennes de gaz avaient été couvertes par du charbon." Dans les témoignages recueillis pour sa thèse, Marikken Wullf Wathne montre comment de jeunes ingénieurs se détournent de leur responsabilité dans le changement climatique. Certains pensent que l'augmentation de la population et de la consommation mondiales sont plus néfastes pour notre planète, alors que d'autres insistent sur leur mode de vie écolo. En revanche, les travailleurs âgés, pouvant comparer la période actuelle à celle antérieure à l'exploitation pétrolière, soutiennent que l'industrie de la pêche (un secteur économique traditionnel et durable) est menacée par l'industrie pétrolière (qui sera un jour à bout de souffle). Ils insistent donc sur la nécessité de se séparer progressivement de l'or noir.
En conclusion, les ambitions vertes affichées par la municipalité de Stavanger révèlent en réalité des stratégies de greenwashing. Les choses peuvent changer, mais pour ce faire, les mentalités des jeunes générations doivent évoluer et les autorités locales doivent se dissocier des intérêts pétroliers.
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Sources:
Foss Lene & David V. Gibson, éditeurs (2015), The entrepreneurial university: context and institutional change, Routledge
Marikken Wullf Wathne (May 2017) « The role of Petroleum in Portraying and Perceiving Stavanger », University of Bergen http://bora.uib.no/bitstream/handle/1956/16051/MWW_Petroleum_and_Identity.pdf?sequence=1&isAllowed=y
Sachi Hatakenaka, Petter Westnes, Martin Gjelsvik, and Richard K. Lester (2006) « The regional dynamics of innovation : A comparative case study of oil and gas industry development in Stavanger and Aberdeen », MIT press http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.727.7953&rep=rep1&type=pdf
« Cities of the future » program, The City of Stavanger http://mycovenant.eumayors.eu/docs/seap/291_1335523632.pdf
« Roadmap for the Smart City Stavanger », Stavanger kommuna https://www.stavanger.kommune.no/en/samfunnsutvikling/stavanger-smart-city/roadmap-for-the-smart-city-stavanger/
« Norway’s oil history in 5 minutes », official government Norwegian website https://www.regjeringen.no/en/topics/energy/oil-and-gas/norways-oil-history-in-5-minutes/id440538/
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