'Prêt-à-Manger' : le fast-food de tous les Londoniens ?
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- 18 mars 2019
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Alors que nous étions à Londres il y a deux semaines, nous avons été toutes les deux très surprises de trouver un Prêt-à-Manger à chaque coin de rue. 'Pret', comme l'appellent les Londoniens, a été fondé à la fin des années 1980 par deux étudiants de la Polytechnic of Central London (aujourd'hui l'Université de Westminster), Julian Metcalfe et Sinclair Beecham. L'aventure commence en 1986 lorsque les deux acolytes ouvrent leur premier fast-food à la gare Victoria. Bien qu'ayant démarré avec un prêt de seulement 17 000 £, ces-derniers ont toujours veillé à proposer des aliments frais (réapprovisionnement quotidien et plats du jour), naturels (sans additif ni substance chimique) et sains.

Beecham [à gauche] & Metcalfe, lors de l'inauguration de leur premier Pret à Victoria Station (https://www.telegraph.co.uk/finance/newsbysector/retailandconsumer/2784937/Pret-a-Manger-founders-sitting-pretty.html)
Le désir de représenter et d'être accessible à tous les Londoniens....
Avec près de 300 magasins, la chaîne a rapidement envahi la capitale britannique. Le Guardian (14 avril 2015) affirme que" Pret est l'une des entreprises les plus visibles de la capitale, presque aussi ancrée dans le paysage urbain qu'une boîte aux lettres rouge ou le symbole du métro londonien". Pret fait ainsi partie intégrante de l'identité londonienne et de son paysage urbain. Le journal satirique Daily Mash (5 janvier 2017) a ironiquement déclaré que "chaque bâtiment de Londres devrait être un Prêt-À-Manger d'ici 2020". Il est intéressant de noter que l'entreprise prévoit de rendre un Pret accessible à tous les Londoniens de la ville. Le porte-parole de la chaîne a déclaré (avec un soupçon de mépris) que "Certains Londoniens vivent à plus de quatre minutes d'un Pret, ce qui est choquant et inacceptable. Personne ne devrait avoir à compter sur la nourriture qu'il prépare lui-même avec ses doigts gras et mal aguerris".

Principaux magasins Pret à Londres (Google Maps)
... Mais en réalité, l'enseigne cible une élite urbaine
Depuis sa création, la marque s'adresse en réalité aux professionnels des classes urbaines supérieures ayant peu de temps à leur disposition. Le prix des aliments à l'unité varie de 3,89 $ à 6,99 $ et le type de plats proposés - salades et sandwiches sains et originaux - attire une clientèle aisée. La marque remporte ainsi un franc succès dans les quartiers financiers, "branchés" et gentrifiés. La capacité de l'entreprise à adapter son offre et à répondre aux exigences des travailleurs hautement qualifiés lui a permis de s'implanter dans le monde entier: à NYC, Paris, Shanghai et Hong Kong pour ne citer que les villes globales majeures. Pret représente donc l'identité des classes moyennes supérieures, excluant de fait les plus démunis.
La création de Pret : un agent et un indicateur de gentrification dans les quartiers défavorisés de Londres
Sous le mandat du maire conservateur Boris Johnson, la Greater London Authority (Mairie de Londres) a été accusée de cautionner la gentrification des quartiers défavorisés ou abandonnés de la capitale. L'implantation de boutiques branchées - comme Pret - est souvent perçue par les habitants modestes comme une menace. Des contestations ont ainsi émergé contre la création d'un Pret à Wood Green, un quartier anciennement industriel situé au nord de la capitale. Les habitants affirmaient ne pas avoir les moyens de se payer ce type de nourriture et craignaient que l'arrivée de Pret n'annonce un afflux de populations aisées. Un scénario similaire s'est produit en 2015, lorsque le premier Pret s'est installé à Shoreditch. La population locale s'est sentie dépossédée de son quartier d'origine. De manière ironique, les nouveaux arrivants fortunés ont également déploré le processus d'embourgeoisement et de standardisation à l'oeuvre depuis quelques années. Pret apparaît donc comme un agent et un indicateur pertinent des zones en pleine gentrification à Londres.

Premier Pret dans le quartier de Shoreditch
(https://www.standard.co.uk/lifestyle/london-life/pret-s-arrival-in-brick-lane-sparks-angry-chain-reaction-from-shoreditch-hipsters-10396112.html)
Quelles populations Londres tolère-t-elle?
Il me semble à présent judicieux d'élargir la perspective. L'empire Prêt-à-Manger à Londres ne reflèterait-t-il pas la volonté - de la part des développeurs, autorités publiques et acteurs économiques majeurs - d'écarter les populations pauvres du centre-ville, au profit d'une capitale britannique uniquement destinée aux populations privilégiées? Pour reprendre Harvey : qui a " droit à la ville ", autrement dit, qui peut y accéder et influencer les trajectoires de son développement? Le célèbre géographe néo-marxiste a saisi avec justesse les ressorts et conséquences du processus de gentrification dans les villes globales : "Les centres commerciaux et les multiplexes prolifèrent ", "tout comme les fast-foods et les marchés artisanaux ". Il cite la sociologue urbaine Sharon Zukin affirmant que le désir des artistes et des hipsters de trouver une expérience urbaine authentique a souvent fourni un point de départ pour la revitalisation des quartiers oubliés dans ces villes. Cependant, ils ont attirés dans le même temps les investissements des développeurs urbains, ouvrant la voie à la gentrification, à la marchandisation et à l'homogénéisation de ces quartiers par le biais de chaînes de magasins (comme Pret par exemple). Les populations démunies sont progressivement dépossédées de leurs quartiers d'origine, comme c'est le cas à Green Wood, Shoreditch et dans de nombreux autres quartiers de Londres.
En ciblant une clientèle aisée, Pret promeut un Londres peu inclusif, repoussant les populations les plus modestes vers les périphéries de la ville. L'élection de Sadiq Khan en 2016 pourrait cependant changer la donne. Le maire travailliste prévoit la construction de logements abordables pour les classes moyennes inférieures. Si ce projet aboutit, Londres pourrait devenir plus inclusive, et permettre à tous ses résidents de trouver un logement, de se déplacer facilement d'un point à un autre de la capitale et d'influencer les décisions politiques de leur quartier. ***
Sources:
Sur le concept, le fonctionnement et l'expansion de Prêt:
Favell, Adrian. Eurostars and Eurocities: free movement and mobility in an integrating Europe. Blackwell Pub. 2008.
Floor, Ko. Branding a store: how to build successful retail brands in a changing marketplace. Kogan Page. 2006.
Prêt’s website : https://www.pret.co.uk/en-gb/find-a-pret
Adrian Slywotzky. « Building A Steep Trajectory Of Improvement: The Pret A Manger Case ». Fast Company. 10.10.11
« Every building in London to be a Pret A Manger by 2020 ». The Daily Mash. 5th January 2017
Kate Hardy and Tom Gillespie. « London’s exodus offers a stark warning to other UK cities: your culture is at risk ». The Guardian. Fri 4th Aug 2017
Sur les fondateurs de Prêt:
« Mine's a McLatte ». The Guardian. Thu 1st Feb 2001
Sur Prêt et la gentrification:
Francesca Gillett. « Residents hit out at 'middle class' Pret a Manger in Wood Green shopping centre... but others are delighted ». Evening Standard. Monday 19 September 2016
Mark Blunden. « Pret A Manger’s arrival in Brick Lane sparks angry chain reaction from Shoreditch hipsters ». Evening Standard. Friday 17 July 2015
Quelques polémiques sur la provenance des denrées Prêt à Manger:
Glen Kleogh. « 'Fresh' Pret baguettes are up to a YEAR old: Sandwich chain boasts that it bakes bread in-store - but baguettes are churned out in factory on French industrial estate before being shipped to the UK ». Daily Mail. 8th October 2018.
Apports théoriques sur le "droit à la ville" et la gentrification:
Harvey, David. Rebel cities: from the right to the city to the urban revolution. Verso, 2012.
Zukin, Sharon. Naked city: the death and life of authentic urban places. Oxford University Press, 2010.
En savoir davantage sur les politiques publiques menées par le nouveau Maire de Londres:
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