Tallinn : quel positionnement géostratégique pour la capitale estonienne ?
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- 9 avr. 2019
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Capitale de l’Estonie, Tallinn est située sur la côte du Golfe de Finlande et possède le principal port de la mer baltique. Dès 1720, le territoire estonien devient une région de l’Empire Russe, jusqu’à l’effondrement des Empires à la fin de la première Guerre Mondiale. Mais dès 1940, après avoir été envahie par l’armée soviétique, la République d’Estonie perd, une fois de plus, son indépendance en devenant la quinzième République Socialiste Soviétique. Elle retrouve néanmoins son indépendance en 1991 suite à l’implosion de l’Union-Soviétique. Un grand nombre de monuments tallinnien rappelle un passé commun avec le voisin de l’Est, comme la Cathédrale Orthodoxe construite par Alexandre III, dans le cadre de la politique de russification. (Menée durant la seconde moitié du 19ème siècle.) Pourtant, l’Estonie ne cesse de réaffirmer sa volonté d’être rattachée à l’Europe, et a notamment rejoint l’Union Européenne en 2004.
Une ville connectée à l’Europe
Jusqu’aux années 2000, les Pays Baltes n’étaient que très peu connectés au réseau ferroviaire européen. En effet, il fallait passer par la Russie pour relier Tallinn au reste de l’Europe. Dès les années 90, l’idée de créer une voie ferrée reliant la capitale estonienne à Varsovie naît. Le « Rail Baltica » est l’un des projets prioritaires du Réseau transeuropéen de transport (TEN-T) visant à relier les capitales baltes à l’Europe. Ce projet est coordonné dès le début des années 2000 par l’ensemble des pays Baltes et la Pologne. L’un des enjeux majeurs est d’ordre technique : il faut en effet aménager plus de 1000 kilomètres de voies ferroviaires selon la norme d’écartement des rails européenne. (NDLR : celle-ci diverge de la norme en vigueur dans l’ex Union Soviétique) En 2005, une étude de faisabilité sur la « Rail Baltica » est réalisée par la Commission Européenne, et un rapport est publié en 2007. La construction des infrastructures devrait commencer en 2019, et se terminer d’ici 2026. Cette ligne permettrait alors d’améliorer le transport de marchandises, mais également de passagers.

Tracé de la Rail Baltica, reliant Tallinn à Varsovie
Tallinn est également une ville intégrée aux réseaux aériens européens. En effet, depuis les années 1990, les destinations proposées au départ de Tallinn sont de plus en plus tournées vers l’Ouest. Les villes scandinaves voisines ont été les premières à être reliées à la capitale estonienne. Puis, à partir du milieu des années 1990, des villes d’Europe de l’Ouest ont commencé à être connectées à la capitale balte : Londres, Amsterdam et Hambourg. Cet élargissement se prolonge au cours des années 2000 avec la création de liaisons en direction d’Oslo, de Varsovie et de Vienne. Cependant, l’aboutissement de cette volonté d’ancrage vers l’Ouest s’opère davantage entre 2003 et 2007, avec une dizaine de lignes créées en direction des principales capitales d’Europe. (Berlin, Paris …) Cela coïncide d’ailleurs avec l’entrée de l’Estonie dans l’Union Européenne.

(Vincent Dautancourt, La ville de Tallinn: les ambitions et les enjeux géopolitiques d'une "petite" capitale européenne)
Une économie de plus en plus tournée vers l’Europe
L’économie tallinienne est elle aussi fortement tournée vers l’Europe, aux dépens de son voisin russe. Au moment de son indépendance en 1991, l’Estonie abandonne le rouble au profit de la couronne norvégienne, puis de l’euro à partir de 2011. En termes de relations commerciales, l’Estonie opère également un éloignement progressif de la Russie en favorisant des partenaires européens. De plus, après l’annexion de la Crimée, l’Estonie a participé en tant que membre de l’UE aux sanctions commerciales contre la Russie. Ainsi, en 2015, seulement 5% des exportations estoniennes étaient à destination de la Fédération de Russie.
Conjointement, la Russie a décidé de mener une politique de désengagement des ports baltes, dont celui de Tallinn. En effet, ce port est un lieu stratégique dans les relations commerciales entre l’Europe et la Russie. Cet Etat-continent a perdu les ports baltes après l’indépendance des Républiques Socialistes Soviétiques et souhaite donc mener une politique de construction de nouvelles infrastructures sur son territoire. Ainsi, les marchandises ne transiteraient plus par le port de Tallinn.
Dans un contexte de relations russo-estoniennes dégradées
Tallinn souhaite donc être une capitale pleinement connectée à l’Europe, et ceci au détriment de son voisin russe. Cela advient dans un contexte national hostile à la Russie. Fruit d’un héritage commun tumultueux, les relations russo-estoniennes sont fragiles. En effet, depuis l’annexion de la Crimée par la Russie, les autorités estoniennes craignent l’expansionnisme russe. L’OTAN (dont l’Estonie est membre depuis 2004) a alors décidé d’agir en multipliant les présences militaires sur la frontière russo-estonienne.
Ces différends s’incarnent aussi dans un conflit entre les deux Etats concernant les populations russophones d’Estonie, qui habitent majoritairement les territoires frontaliers et la capitale. Selon les autorités russes, l’Etat estonien établirait des discriminations envers les individus russophones, en tentant par exemple de limiter l’usage de cette langue. Ces différenciations sont visibles à Tallinn : la plupart d’entre eux sont d’ailleurs marginalisés, habitant souvent en périphérie de la ville.

Photo prise par Alessandro Gandofi qui s’est consacré au photojournalisme et aux relations russo-estoniennes. Quartier russophone, en périphérie de Tallinn.
En bref, Tallinn semble vouloir multiplier les connections avec l’Europe, et tente de se détacher de liens séculaires qu’elle entretient avec la Russie. Cela advient dans un contexte de relations russo-estoniennes dégradées.
Références :
Boucart, Théo. « Quelle intégration européenne pour les pays baltes ? » Le Taurillon, 24 janvier 2018, https://www.taurillon.org/quelle-integration-europeenne-pour-les-pays-baltes.
« Estonie ». Toute l’Europe.eu, https://www.touteleurope.eu/pays/estonie.html.
« Estonie. Climat de guerre froide à la frontière russe ». Courrier international, 22 octobre 2018, https://www.courrierinternational.com/diaporama/estonie-climat-de-guerre-froide-la-frontiere-russe.
Le port estonien de Tallinn ménage les Russes. 15 avril 2014. Le Monde, https://www.lemonde.fr/economie/article/2014/04/15/le-port-estonien-de-tallinn-menage-les-russes_4401353_3234.html.
Vincent, Dautancourt. La ville de Tallinn : les ambitions et les enjeux géopolitiques d’une « petite » capitale européenne. Ecole doctorale des sciences sociales, Paris 8.
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